AVEC AMY WINEHOUSE, LE BIOPIC MUSICAL EN OVERDOSE

Elvis, Bob Marley, Freddie Mercury et désormais la chanteuse neosoul… la machine hollywoodienne se nourrit du destin tragique des icônes pop, rarement de leur génie.

Une choucroute noire sur des escarpins vermillon courant au milieu de la circulation new-yorkaise: prière de croire qu’il s’agit là d’Amy Winehouse partant à la conquête des États-Unis, gracile, frondeuse mais perdue dans un monde trop brutal pour elle. Si la chanteuse disparue en 2011 à l’âge de 27 ans affectionnait effectivement les hauts talons ou les ballerines, le biopic préfère les gros sabots – c’est en général à ça qu’on le reconnaît.

«Back in Black», donc, où la vie courte mais intense de la punkette soul selon sa compatriote Sam Taylor-Johnson, avec Marisa Abela dans le rôle de Winehouse (lire l’encadré). C’est la fiction musicale du printemps, après celles de l’hiver sur Bob Marley et celle de l’automne sur Priscilla Presley, la femme d’Elvis. Lequel avait par ailleurs reçu son biopic un an plus tôt en même temps qu’une autre icône pop américaine (donc mondiale), Marilyn Monroe. Les mois prochains au même registre, on attend la livraison d’un nouveau Bob Dylan avec l’inévitable Timothée Chalamet, d’un Michael Jackson de tous les dangers, d’un Bee Gees en lamé disco, d’une Madonna si elle valide la comédienne qui osera l’interpréter, etc..

Avec un biopic à la fois au sommet des récompenses et des revenus 2024, «Oppenheimer» de Christopher Nolan, c’est peu dire que la vanne n’est pas près de se fermer dans une industrie hollywoodienne où il est moins compliqué et bien moins risqué de raconter la vie des gens célèbres plutôt que d’inventer des scenarii originaux. Quand on n’appelle pas à l’aide les superhéros, heureusement en légère disgrâce après dix ans de règne sans partage.

Amadeus ou Jim Morrison?

Au cinéma, les musiciens de génie ont toujours fait des sujets de choix. Certes inspiré d’une pièce de théâtre de Peter Shaffer, «Amadeus» de Milos Forman (1984) a marqué le genre par sa manière de raconter bien moins la «vraie» vie de Mozart que la jalousie de son rival Salieri face à l’énigme du talent, et donc de Dieu. Le «bon biopic», donc, idéalement contrebalancé quelques années plus tard par le douloureux «The Doors», qui, lui, anticipait tous les défauts de la fiction opportuniste et réductrice: le film d’Oliver Stone a servi à la promotion de la musique du groupe (la BO du film fut l’une de ses plus grosses ventes) et fondu la complexité de Jim Morrison dans des archétypes freudiens à deux dollars et des poses de poètes à trois sous.

Depuis, les biopics de qualité s’inspirant de l’œuvre plutôt que de la personnalité de l’artiste, voire de ses vicissitudes, ne sont guère plus intéressants que des fiches Wikipédia et produits à la chaîne façon «Un jour, un destin», où une vie de création n’est que la somme des épiphanies, des épreuves et des malentendus que rencontre le musicien. Manque de chance, cette seconde école coûte moins en méninges que la première, et rapporte beaucoup plus: «Bohemian Rhapsody», le plus mauvais biopic sur la musique pop, si policé sur la vie de Freddie Mercury qu’il en devenait mensonger, reste à ce jour le plus grand succès de ce genre cinématographique.

Puits sans fond

Et le refrain n’est pas près de cesser. Les plateformes en ligne réclament une production continue, attractive et consensuelle; elles ont des cases à remplir et des moyens à déverser. De l’autre côté de la chaîne, l’affaiblissement des grands labels et la fin de la prééminence culturelle de la musique rendent plus hypothétique l’édification de pop stars de la taille du siècle dernier: on va puiser dans le matériau passé, jouer la carte de la nostalgie quitte à raconter plusieurs fois la même histoire: «A Complete Unknown», avec Chalamet, sera-t-il le reboot du «I’m not There» de 2006? Après le metaverse de Spiderman, celui de Bob Dylan…

Céder ses droits d’édition

Autre élément de poids: Justin Timberlake, Shakira, Justin Bieber, Neil Young, Red Hot Chili Peppers, Paul Simon, des centaines d’artistes de renom ont vendu récemment leur catalogue à des sociétés d’édition cotées en Bourse. Quand Sony rachète pour 500 millions de dollars les droits de la musique de Bruce Springsteen, on peut imaginer qu’elle les rentabilisera aussi dans un film à la gloire du Boss, qui n’aura rien à y redire.

Le biopic fait ainsi partie d’un éventail de produits commerciaux et promotionnels pour assurer un investissement et servir les ayants droit. Dans le cas de «Back in Black», la polémique porte déjà sur la réhabilitation du père de la chanteuse, Mitch, qui a validé le scénario, participé à la promotion et assisté à la première. Était-il aussi protecteur, avenant et désintéressé envers sa fille que le montre le film? Les droits musicaux sonnants et trébuchants qui en découleront rendront sans doute inaudible la réponse.

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